02/11/2020

 Première rencontre avec Nelson Valbo 



" Mercredi 26/12/1997 

 

Saint-Étienne, 
  L'unique lampadaire du passage éclairait la façade d'un ancien atelier transformé en loft, où l'on discernait à l'intérieur une source lumineuse zébrée par des stores. Journaliste à Signé Furaniax !  j'y avais recréé l'univers mythique, à mes yeux du moins, d'un " privé " de cinéma, version noir et blanc, en v.o de préférence. Pour entrer dans la peau du personnage, j'avais calligraphié, en partie, ma raison sociale sur le verre dépoli de la porte: Nelson Valbo, report... Depuis la désertion affective de mon ex, j'étais le seul à apprécier ce clin d’œil égocentrique. Sur un bureau ministre voisinait une lampe modèle administration, millésimé cinquante, un PowerMac, un lecteur de disquette d'occasion, et un superbe téléphone noir à pied vertical, dont je ne me lassais jamais d'entendre le clonc !, de la fourche, métallique et sourd, lorsque je raccrochais; m'envoyant au choix, chez Ed Mc Bain ou Marlowe. Tournant le dos aux insolentes plastiques de Françoise Arnoult et de Kim Novak , encadrées au dessus de mon bureau. J'enclenchais une disquette. L'appareil émit un léger claquement, je m'apprêtais à stocker mes articles et mes projets de polars avortés ou inachevés. 
Pendant ce temps, Bashung faisait du camping jazzy dans une micro-chaîne. 
Je cliquais sur l'icône de la disquette, et là, surprise... 
 - Et merde ! Il m'a refilé des disquettes usagées. 
   La fenêtre était constellée d'icônes présentées en vrac. Plusieurs d'entre elles faisaient partie d'une série nommée Fiat Lux !, numérotée de 1 à 27. Le clin d’œil à Burma me fit sourire, je cliquais sur la première. La veille, j'avais acheté le lecteur de disquette à un vieux monsieur, qui m'avait offert en prime, une boîte de disquettes sensées être vierges. Jehan De Riotord m'avait expliqué que dorénavant une personne transcrivait ses mémoires. 
Je m'étais montré intéressé, mais M. De Riotord avait refusé de m'en dire plus. Il avait marqué un temps de réflexion en entendant mon patronyme, avant de changer rapidement de sujet. Par tact, je n'avais pas insisté. Un message s'afficha, l'application dont Fiat Lux ! était issue, était introuvable. Je cliquais sur mémo. Je ne possédais pas la police utilisée, la mise en page en fut modifiée, de seize pages initiales, elle passait à quatorze, incomplètes. 
   Le titre s'affichait en caractère gras: L'anguille, suivit de provisoire entre parenthèses. Les sept premières pages relataient une partie de sa jeunesse passées dans les colonies - terres généreuses et rémunératrices pour de nombreux fonctionnaires - et à Lyon. Dans cette ville, à la réputation guindée et secrète, un détail expliquait la fuite de Jehan De Riotord. Il mettait en scène le Livre Blanc de Cocteau, en séances particulières. De Riotord s'enfuit à Alger, où vivant de petits boulots et magouilles diverses, il rencontra un certain Henry Hyde. Cela se passait en 43. 
La suite devint de plus en plus intéressante, éclairant sous un jour nouveau sa personnalité. Ce M. Hyde était un agent secret américain, coordonnateur de nombreux agents de l'OSS en France; il recruta De Riotord après enquête et l'envoya à Londres, en formation. Le vieux monsieur si charmant était donc un ancêtre de James Bond aux mœurs dissolues, aux yeux des âmes bien pensantes. 
    Au bas du bloc-lettre, un carré signalait que le texte continuait. Parmi les sillons du cd, Bashung découvrait un yéti dans un Monoprix. Déçu, autant que dicté par ma curiosité professionnelle j'imprimais le texte, puis refermais les fenêtres et éjectais la disquette, il était 15h45. Les autres disquettes n'étaient pas initialisées. Je décrochais le bigophone, De Riotord, d'une voix douce, me souhaita la bienvenue sur son répondeur. Je laissais un bref message, la disquette passerait la nuit dans un tiroir, j'enfilais mon trench-coat, complétais l'exercice de style par un galurin et filais au Méliès. Une projection en version originale avec Richard - Push Mom in the staircase - Widmark était un cas d'urgence. " 
 
A bientôt pour un autre extrait de REMORA !